Eric Baudelaire, Une fleur à la bouche (2021) En partenariat avec l'Institut audiovisuel de Monaco
Projection en présence de l’artiste
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Depuis 2015, le NMNM et l’Institut audiovisuel de Monaco s’associent autour du label « Film d’artiste » en programmant la projection de créations d’artistes dont la pratique se situe à mi-chemin entre le cinéma et l’art contemporain : films singuliers par leur forme, leur narration, mais aussi par leur mode de production et de diffusion.
Pour cette saison 2023-2024, la programmation Tout l’art du cinéma de l’Institut audiovisuel de Monaco et le NMNM présentent le film de Éric Baudelaire, Une fleur à la bouche.
Comment vivre le temps qui reste ? Une fleur à la bouche est un long métrage hybride, diptyque mi-documentaire, tourné dans le plus grand marché aux fleurs du monde, mi-fiction, sur un homme atteint d’une maladie incurable, adapté d’une pièce de Luigi Pirandello.
Une fleur à la bouche
France, Corée du Sud, Allemagne, 2021, couleur, 67 min.
Réalisation : Éric Baudelaire. Scénario : Anne-Louise Trividic, Éric Baudelaire d’après La Fleur à la bouche de Luigi Pirandello. Image : Claire Mathon. Son : Éric Lesachet, Philippe Welsh. Montage : Claire Atherton. Direction artistique : Roy Genty. Costumes : Edgar Fichet. Production : Les films du Worso, Poulet-Malassis Films, JeonJu International Film Festival, Flaneur Films. Avec : Oxmo Puccino (l’homme à la fleur), Dali Benssalah (le client), Sébastien Albert (le barman), Flavien Soyer (le mandoliniste), Laure Devenelle (la vendeuse).
Une fleur à la bouche travaille à complexifier les rapports entre le littéral (documentaire) et le métaphorique (fiction). La fleur de Pirandello métaphorisait une maladie létale ; pendant vingt minutes, en grand matérialiste qu’il est, Baudelaire prend la « fleur » de façon follement littérale et décrit le plus grand marché floral du monde, en Hollande. La mercantilisation de la fleur devenue produit standardisé transforme celle-ci en emblème d’une civilisation toxique, qui flétrit (sic) tout ce qu’elle fétichise. La fleur réelle devient métaphore, allégorie de la maladie industrielle, notre maladie collective. Que peut alors le cinéma ? Reprendre les termes de Pirandello, nous réinsuffler « le goût de la vie ». Le 4 juillet 2022, quelques semaines avant son suicide, Jean-Luc Godard souligne cette ligne du Henri IV de Pirandello : « ce plaisir d’un nouveau genre : celui de vivre – en toute lucidité ».
Né à Salt Lake City [1973], formé en sciences sociales à Brown University (Providence), puis au King’s College (Londres), plasticien et cinéaste, Éric Baudelaire développe une œuvre d’une grande radicalité politique et formelle. Son chantier figuratif principal concerne les maudits, au sens des oubliés, parias, vaincus, extrémistes, êtres exclus de l’économie générale (économie du monde, économie psychique). Une série de pièces traite des maudits géopolitiques : les États non reconnus du Caucase, en particulier l’Abkhazie. Elle associe un livre, États imaginés (2005), un film, Letter to Max (2014), une exposition, The Secession Sessions(2015) : l’ensemble permet de réfléchir aux notions d’État sans État, de nationalisme et d’indépendance. Un autre cas engage les maudits de l’histoire, à commencer par le cinéaste et militant Masao Adachi, dont l’œuvre n’a cessé de se mesurer à l’injustice et à l’indéfendable, emprisonné pendant presque trois décennies. Baudelaire transpose les initiatives prises par le chef-d’œuvre d’Adachi A.K.A. Serial Killer (1969) – raconter l’histoire d’un jeune meurtrier sans mot et sans le montrer, exclusivement grâce aux paysages que celui-ci a parcourus –, dans son film Also Known As Jihadi (2017). La description des territoires traversés par un islamiste parti combattre en Syrie s’y allie aux documents collectés à son sujet par la police, afin d’interroger le principe même d’action politique. Infigurable et point aveugle, le maudit devient révélateur. Sois ce que tu veux qu’il advienne : envisager un sujet exige de renouveler les formes du travail sous les auspices de la coopération. Au documentaire que Baudelaire consacre à Adachi, L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi et 27 années sans images (2011), succède une fiction réalisée avec celui-ci, The Ugly One (2013). L’impératif politique de muer les motifs en cocréateurs culmine avec Un film dramatique (2019), qui décrit la fabrique d’un film avec
des collégiens de Saint-Denis et vaudra à toute l’équipe cosignataire le prix Marcel Duchamp. Une fleur à la bouche (2021) ouvre sur une autre expérience des limites : affronter l’inconcevable de la mort.
Nicole Brenez
Théâtre des Variétés, 1 bd. Albert Ier
Billetterie sur place le soir de la projection.
Tarifs : 8 €
Tarif réduit : 4 €
Parking : Condamine
Bus : Place d’Armes ou Stade nautique